jeudi 15 juillet 2010

Durant l’Occupation, la gendarmerie de Vichy raflait les Juifs à Châtillon-sur-Seine

En cette date de la commémoration des victimes de la Shoah dont la cérémonie se déroule, comme chaque année, à la gare de Dijon ce 16 juillet, il convient de rappeler le cas d’une ville de notre département particulièrement touchée par la Shoah : Châtillon-sur-Seine.

En juillet 1942, la police française a participé à une rafle d’une importance jusque-là inconnue. Cette opération, qui a récemment fait l’objet d’une fiction cinématographique, ‘La Rafle’, a conduit à l’arrestation de plus de 13 000 personnes. La rafle dite du Vél’ d’Hiv’, les 16 et 17 juillet 1942 à Paris, prenait pour cible les Juifs étrangers et apatrides, les forces de police se servant d’un fichier recensant les Juifs, établi par les services de Vichy, deux ans auparavant.

En province, cette même rafle était orchestrée plusieurs jours plus tôt qu’à Paris. En Côte d’Or, ce sont les 13 et 14 juillet que s’est déroulée l’arrestation de plus de vingt personnes. Parmi eux, Erna Kahn, qui habitait à Châtillon-sur-Seine.

Le 13 juillet 1942 à sept heures du matin, deux gendarmes français se sont présentés au foyer de la famille Kahn avec l’ordre d’arrêter Madame Kahn.

Erna Israël Kahn était née en 1901 à Koenigsmacker, une commune de Moselle alors annexée à l’Allemagne de Guillaume II. Elle s’est mariée à Benjamin Kahn, un Luxembourgeois de dix ans son aîné, et le couple a eu une petite fille, Marguerite, née à Ettelbruck au Luxembourg en 1928.

Depuis 1930, la famille Kahn résidait en Moselle, dans le village natal d’Erna, redevenu français en 1918.

Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français a fait évacuer les populations civiles des communes situées entre la ligne Maginot et la frontière allemande, car elles risquaient de se trouver dans la zone des combats.
C’est ainsi que la famille Kahn, parmi les habitants de Koenigsmacker, a été évacuée, élisant provisoirement domicile rue Claude Bernard, à Châtillon-sur-Seine ; une commune où ils vont demeurer, l’annexion de la Moselle, en juin 1940, par le Reich ayant rendu impossible le retour d’une famille juive en Allemagne nazie.

Le 15 juillet 1942, madame Kahn se trouve parmi 21 Juifs raflés en Côte d’Or qui seront, après une brève détention à la Mairie de Dijon, transférés en train vers le camp d’internement de Pithiviers, dans le Loiret.
Le 20 juillet 1942, sa fille, Marguerite Kahn âgée de 13 ans, écrit au maréchal Pétain en personne et le prie de l’aider. « Je viens d’apprendre l’affreuse nouvelle qu’elle est maintenant déportée en Pologne ». Le 17 juillet au matin, sa mère avait été déportée à Auschwitz-Birkenau par un train de déportation, aujourd’hui connu sous le nom de ‘Convoi n°6’ transportait 928 personnes, 809 hommes et 119 femmes. C’était le premier convoi de déportation transportant des femmes et enfants. « Je pense qu’en m’adressant à votre bonté », écrit Margot Kahn, « vous pourriez, Monsieur le Maréchal, faire rentrer maman chérie dans notre foyer en détresse ».
Cette démarche est soutenue par les enseignants du collège de Margot : la lettre de la jeune fille est transmise au Préfet de Région accompagnée, d’une lettre sa directrice d’école et de l’Inspectrice d’Académie qui souhaite ainsi ne pas trahir « la confiance et l’espoir d’une petite fille dans la puissante bonté de notre Chef ». Margot ne reçut pas de réponse. Erna Kahn a été assassinée le 19 juillet, dès son arrivé à Auschwitz.
La ‘réponse’ à sa lettre, Margot la trouvera le 9 octobre 1942, jour de son arrestation et de celle de son père Benjamin par la gendarmerie. Tous deux sont déportés le 11 novembre 1942, par le convoi n° 45 et seront, eux aussi, assassinés dans un camp nazi.
En effet, depuis l’été 1942, les arrestations ne concernaient plus seulement les Juifs étrangers, mais également les Juifs français.

Le 28 octobre 1943, la gendarmerie a également procédé à Châtillon, à l’arrestation d’une autre famille : Sonia et Rubin Blatt, respectivement nés en 1893 et 1894.
Le couple, d’origine polonaise, s’était installé à Châtillon à la fin des années 1920 avec ses deux enfants, Eugène et Marguerite, nés en 1923 et 1926 à Nancy.
Leur troisième enfant, Jean, est né à Châtillon en 1929.
En 1930, les époux Blatt obtenaient la nationalité française. Rubin Blatt travaillait comme ouvrier du bâtiment.
Lorsque la gendarmerie est venue arrêter la famille, le plus jeune des enfants était apprenti menuisier, et sa sœur Marguerite poursuivait ses études.
L’aîné, Eugène, qui réussit à échapper à son arrestation, se cachera jusqu’à la fin de la guerre. Sonia et Rubin Blatt et leurs deux jeunes enfants, ont été transférés à Drancy, le grand camp en banlieue parisienne où étaient internés les Juifs raflés de toute la France, avant leur déportation vers Auschwitz. Les Blatt y seront détenus durant presque un mois, en l’attente de leur déportation, le 20 novembre 1943 par le convoi n°62.

Un autre Châtillonais, Julien Israël fait également partie de la liste de ce convoi. Nous savons seulement de lui qu’il était né, comme Erna Kahn, à Koenigsmacker: il pourrait donc être son frère. Agé de 38 ans, berger de profession, il avait également été contraint de s’installer à Châtillon suite à l’évacuation des Mosellans en 1939.

A la fin de 1943, une seule famille juive domiciliée à Châtillon-sur-Seine demeurait encore sur les listes de la police : la famille Rueff.
Noé Rueff, dit Jules, était né en 1876 à Pfastatt, près de Mulhouse. Sa femme Jeanne, alsacienne également, était née à Strasbourg en 1888.

Le couple s’était installé, au cours des années 1910, à Châtillon, où Jules Rueff a fondé un commerce de chaussures.

Leurs quatre enfants, René, Henriette, Raymond et Roger, naîtront à Chatillon en 1909, 1911, 1915 et 1917.

Roger, le cadet, deviendra instituteur. Sa carrière sera brusquement interrompue en avril 1943 ; lorsqu’il est démis de ses fonctions parce que juif. Il enseignait alors à la Roche-en-Brenil dans le Morvan.
Suite aux arrestations successives des Juifs de Châtillon, y compris les enfants, les Rueff quittent alors la ville pour rejoindre leur fils Roger à la Roche-en-Brenil, leur fils aîné René, un ouvrier minier de 34 ans, les y rejoint.
Jeanne et Jules Rueff, ainsi que leurs fils Roger Antoine et René Jacques ont été arrêtés en février 1944. Transférés à Drancy, ils ont été déportés par le Convoi n ° 69, du sept mars 1944.

C’est ainsi que Châtillon-sur-Seine a perdu douze de ses habitants durant la Shoah, certains y étaient nés : trois familles disparues, assassinées sans laisser de trace, parce qu’ils étaient nés et désignés comme juifs.
Ils étaient menuisier, commerçant, berger, instituteur ou écolier…
Nous nous devons de dire et transmettre leur nom et leur histoire : « Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde par l’oubli » Elie Wiesel.

Par l’association mémoire(s) vive(s), Dijon, le 16 juillet 2010



Cet article a été publié dans
Le bien Public, édition du 15 juillet 2010, sous le titre "La triste fin de trois familles juives de châtillon-sur-Seine sous l'Occupation".
Consultable en ligne : http://www.bienpublic.com/fr/accueil/article/3483468/La-triste-fin-de-trois-familles-juives-de-Chatillon-sur-Seine-sous-l-Occupation.html

jeudi 17 juillet 2008

Une centaine de personnes a assisté mercredi matin, le 16 juillet, à la cérémonie commémorant la rafle du Vel d'hiv' du 16 et 17 juillet 1942 lors de laquelle plus de 13 000 juifs parisiens dont 4 000 enfants ont été arrêtés par la police française. Lors de cette cérémonie d'hommage aux victimes de la Shoah, en présence d'élus, d'anciens combattants, de citoyens et de représentants d'associations, dans la cour de la gare de Dijon, la communication suivante a été lue :


"Cette liste est le fruit des recherches, en cours, menées par l’association mémoire(s) vive(s) sur les déportés de Côte d’Or afin de retrouver tous leurs noms et des traces de leurs vies.

Voici les noms des personnes arrêtées et déportées de notre département les 13 et 14 juillet 1942 :



Hermann GERSON, 37 ans

Malka HERKOWITZ, 38 ans

Erna KAHN, 40 ans

Szmul KALEKA, 44 ans

Thérèse KATZ, 17 ans

Herta KOHLMANN, 21 ans

Aron KUPERBERG, 38 ans

Ruberg MAKAROWSKI, 44 ans

Edmond MICHEL, 37 ans

Irma MICHEL, 34 ans

Lillie MICHEL, 40 ans

Anita OPPENHEIMER, 19 ans

Jaqueline RIBSTEIN, 19 ans

Erich ROSNER, 17 ans

Severin SAFRYS, 28 ans

Nathan SALTMAN, 29 ans

Samuel SCHACHTER, 36 ans

Rose STEINITZ, 44 ans

Mireille STEINITZ, 17 ans

Rachel ZLOTOWITCZ, 36 ans

Joseph ZYSKIND, 41 ans


Après leur arrestation, ces personnes ont été transférées au camp d’internement de Pithiviers dans le Loiret.

Ils ont été déportés par le convoi numéro 6 à Auschwitz, vers une mort programmée au seul motif qu’ils étaient nés juifs.

Trois personnes seulement, à notre connaissance, en sont revenues : Samuel Schachter, Nathan Saltman et Jacqueline Ribstein nommée aujourd'hui Jacqueline Chaillet."

--------------
Voir aussi l'article publié par mémoire(s) vive(s) dans le Bien Public il y a deux ans, édition du 17 juillet 2005.

vendredi 29 février 2008




Elie Cyper : inauguration du passage à Dijon portant le nom du Résistant.

Un passage près de la place Wilson à Dijon portera désormais le nom d'Elie Cyper, rabbin à Dijon en 1939.


Elie Cyperucha (dit Cyper) est né près de Kiev (Empire russe), le 12 septembre 1908. Il est encore enfant quand ses parents sont assassinés lors d'un pogrome, Elie Cyper parvient à fuir la Russie et trouve refuge en France grâce au soutien d'organisations juives. Il poursuit ses études à Paris, obtient son diplôme de rabbin et parallèlement une licence de Lettres et d’histoire et géographie à la Sorbonne. Il milite au sein de mouvements de jeunesse sioniste.
Il obtient la nationalité française en 1932, épouse en 1937 Denise Ebstein, les jumelles Arlette et Claudine naissent de cette union en 1938.
Il arrive à Dijon en janvier 1939, où il remplace le rabbin Kaddouche. Il se consacre alors à l’action sociale auprès des nombreux Juifs allemands réfugiés dans la région depuis l'arrivée d'Hitler au pourvoir.
Mobilisé en septembre 1939, il est fait prisonnier en juin 1940, s’évade puis rejoint Dole à la fin du mois d' août où il porte assistance au millier de juifs alsaciens et mosellans expulsés vers le Jura.
Surnommé « le rabbin des réfugiés », il est nommé en décembre 1940, adjoint au rabbin de Périgueux, Victor Marx, débordé par l’afflux de 12000 réfugiés juifs repliés en Dordogne dans des conditions très difficiles..
Le rabbin Cyper prend en charge l’animation de la communauté qu’il soutient partout dans le département. Il tisse alors de nombreux liens d’amitié avec des non-juifs qui se transforment en réseaux d’assistance et d’entraide.

Dès le mois d’août 1942, débutent en Dordogne de nombreuses rafles. Le rabbin devenu aumônier des camps apporte son aide aux internés, multiplie les démarches pour obtenir des libérations, organise l'envoi de colis, fait passer des vivres … y compris aux détenus en partance pour Drancy et Pithiviers.
En mai 1943, Elie Cyper adhère au mouvement de résistance Combat, assurant la liaison entre différents maquis. En lien avec l’Aide Sociale Israélite, il s’efforce de cacher des enfants et de donner l’alerte lorsque des rafles se préparent. En novembre 1943, il met ses filles à l’abri dans une institution tenue par des religieuses.
En février 1944, à la mort du rabbin Victor Marx, il prend officiellement la tête des communautés du Périgord. Début 1944, alors que les rafles se multiplient il convainc son épouse de trouver refuge dans la campagne.
Nommé Capitaine des FFI le 7 avril 1944, Elie Cyper est arrêté par la Gestapo le 8 avril, premier jour de Pessah. Son épouse et ses filles échappent à la déportation. Interné durant un mois à Périgueux, et malgré les protestations de l'évêque et du préfet, il est transféré à Limoges puis à Drancy. Déporté le 15 mai 1944 par le convoi numéro 73, Elie Cyper, âgé de 35 ans, ne survivra pas à la déportation.
Aucune source n’a permis, à ce jour, de connaître les conditions précises du décès du rabbin Cyper.
Toutefois, ce convoi a une histoire singulière qu’il convient de transmettre : exclusivement composé de 878 hommes dans la force de l’âge, le convoi 73 parti le 15 mai 1944 ne se dirige pas, contrairement à la plupart des convois partis de Drancy, vers Auschwitz, mais vers la Baltique. Officiellement destiné au transfert de travailleurs forcés pour l’opération Todt, le convoi composé de quinze wagons fait, à l’issue d’un trajet de trois jours et de trois nuits, une halte à Kaunas en Lituanie. Une partie des déportés reste sur place alors que l’autre est acheminée vers Reval ( aujourd’hui Tallin) en Estonie, comme on pu en témoigner les 23 survivants en 1945.
Le Père Patrick Desbois évoque la possibilité que certains déportés aient été assignés à l’incinération des cadavres - à Reval et à Riga - des Juifs assassinés par les Einsatzgruppen, c'est-à-dire à l’effacement des traces de la Shoah par balles à l’Est qui a fait entre 1,3 et 1,8 millions de victimes juives hors six centres de mise à mort. Les prisonniers de ces Sonderkommandos étaient régulièrement fusillés pour ne laisser aucun témoin.
On sait également que faisaient partie de ce convoi le père de Simone Veil, André Jacob et son frère Jean ainsi que Myrion Zlatin - qui avait avec son épouse Sabina dirigé la Maison d’enfants d’Izieu - et les deux adolescents de la Maison d’Izieu, Théo Reis et Arnold Hirsh. Aucun d’entre eux n’est revenu.


par l'association mémoire(s) vive(s), février 2008